[INTERLUDE]
*noir*
Ils sont affalés, côte à côte, sur le vieux canapé usé. Ils regardent un film, mais ce n'est pas le plus important. Le plus important, c'est que lui, qui avait passé des mois à se battre contre sa tête pour faire taire l'espoir, lui qui avait presque réussi à s'amputer de tous ces sentiments bondissants, qui avait presque éteint le feu, il sent avec effarement qu'il pourrait bien rechuter.
"Amis, amis, c'est bien mieux comme ça, amis, amis, amis..."Il se répète inlassablement, pour s'empêcher de penser à autre chose. Il voudrait bien se passionner pour le film, mais celui ci est honteusement lent et contemplatif.
Soudain, elle glisse ses jambes sur
(mes genoux à moi. Ses jambes à elle !)ses genoux. Il se dit que ça ne veut rien dire. Que les amis font ça, aussi. Qu'il est con de s'enflammer pour si peu. il se dit qu'il a très envie de déposer sa tête sur son épaule. Il se dit qu'il voit pas pourquoi il le ferait pas, puisque de toutes façons ça veut rien dire, pas vrai ? Il se dit qu'il est
(amoureux)fatigué.
Alors il s'écroule sur elle, avec autant de délicatesse que s'il se cognait à un mur.
Ils regardent le film.
Il la regarde, discrètement. Il la trouve
(belle)jolie, mais s'interdit immédiatement d'aller plus loin. On n'envisage pas les filles comme ça quand on a une petite amie. Il est pas comme ça, bordel !
Elle remue un peu pour trouver une position plus confortable.
(mama mia...)Et lui sent remuer en lui des choses qui le mettent mal à l'aise.
Leurs mains se sont frôlées.
Aussitôt, des confins de son esprit, deux pulsions opposées naissent, prennent leur élan, gagnent en énergie, et se précipitent l'une sur l'autre. Les sentiments s'entrechoquent violemment, s'annihilent mutuellement, et pour finir il ne bouge pas. Il se dit que c'est incroyable d'être à ce point bouillonnant à l'intérieur, et inerte à l'extérieur. Pourtant il en a rêvé, de lui prendre la main !
Il se dit que s'il ne fait rien, il va
(regretter)y penser pendant longtemps. il se demande si en ce moment il fait preuve de force de volonté, ou de lâcheté.
Mais elle a coupé court à son dilemme. Elle, a attrapé, doucement, sa paluche dans sa
(toute petite mignonne menotte)main. Une foule de souvenirs - jusqu'alors baillonnés - refont suface dans son esprit. Il pense confusément que ça, par contre, ça ne veut pas "rien dire". Il se dit qu'elle sait ce qu'elle fait, qu'elle n'est pas ivre, qu'elle n'est pas
(cruelle)du genre à jouer à la légère avec ses émotions.
Elle ressere ses doigts, fort. Elle appuie sa tête contre sa tête. Lui, après une dernière
(résistance)hésitation, étreint ses doigts, aussi fort, peut être, qu'il voudrait la serrer dans ses bras.
Il sent un pouls dans sa caboche. une pulsation qui émane du point où se touchent leurs têtes. Rythme rapide et entraînant. Il se demande si ce qu'il entend résonner dans son crâne vient de son coeur à lui ou de son coeur à elle.
*noir*
"je vais y aller maintenant", je lui dis.
Et c'est ce que je fais. Je lui fais la bise (putain...c'est sans doute un rêve) et j'y vais, la tête basse. je ne me retourne pas, je ne lui lance pas de dernier regard, je n'essaye pas de graver l'instant dans ma mémoire.
je marche.
Hé ! ça fait déjà deux heures que je marche. Je sais pas où je suis. J'ai pas pris la peine d'y penser. Quelle importance ? Je marche, justement, pour ne pas penser. Mes pieds avancent, et ma tête est vide.
Vide, j'ai dit.
Elle est loin derrière. Ma culpabilité ne me rattrapera pas. Si je continue de marcher, sans m'arrêter, peut-être que ma tête restera vide pour toujours. Peut être que j'oublierai que je l'ai trompée. Peut être que j'oublierai que je viens de larguer la seule fille qui m'a aimé. Peut être que j'oublierai que trois personnes risquent de souffrir à cause de moi, et que deux d'entre elles ne sont pas moi.
Je suis arrivé devant une banque. J'intègre l'information. Je vais au guichet. Je parle avec le banquier, mais je ne sais pas ce que nous disons. Il a l'air gentil, et moi j'ai l'air saoul. Je ne suis pas saoul, mais putain j'aurais préféré ! Je suis dans un bus. Soudain, l'Espoir est à côté de moi.
Je souris, parceque malgré tout je l'aime.
Bonjour, je pense.
Tu viens m'achever ?*noir*
Je me suis réveillé avec un oeil qui pleure. Preuve, s'il en fallait une, que quelque part je ne suis pas heureux. Pourtant, il me suffit de la regarder rire pour que je me sente bien. Je passe du temps avec elle, et ça me fait oublier tout le reste. Je suis heureux.
Seulement je ne suis pas heureux. Mon oeil pleure, et je ne peux pas l'arrêter. Même quand je ris, une partie de moi pleure. Et je ne me sens même pas triste.
Je raconte aux gens que j'ai une conjonctivite. C'est peut être même vrai.
*noir*
Là, je suis ivre. Je suis assis au pied d'un lit, et je me dis que je ne suis pas assez ivre.
Parceque si j'avais bu plus, si j'etais réduit à l'état de chien galeux rampant, de larve aveugle et sourde, de sac à vinasse plein à gerber, eh bien je n'assisterais pas à ma torture désormais tellement habituelle. Je ne me tiendrais pas là, comme un con, à faire semblant de regarder ce film (quel film, d'ailleurs ? je ne m'en souviens pas). Je ne serais pas en train de tendre l'oreille, je serais en train de vomir.
Si j'etais complètement cuit, je ne me tiendrais pas assis au pied de ce lit, en train d'essayer désespérément de ne pas entendre, tout en écoutant de toutes mes forces; en train d'essayer désespérément de ne rien exprimer avec mon visage, tout en rêvant de casser quelquechose (mon crâne, peut être ?).
Je ne pourrais pas sentir le lit bouger dans mon dos.
Il n'y avait plus de place pour moi, dans le lit, forcément, ils y avaient veillé. Comment leur en vouloir ? Et, comme dit la chanson :
...je suis assis en face
et pas à tes côtés,
à tes côtés y a plus d'place
et je n'peux pas rester.
Même si c'est juste en face
c'est juste pas assez.
C'est pas juste, tout court
et j'me sens comme condamné.
A trois dans un lit deux places. Elle, au milieu, et deux mâles, amoureux d'elle. Et moi, assis, qui leur tourne le dos, en train de me demander si j'imagine tout ça.
Alors je fais semblant d'aller pisser. Je les laisse.
Je me planque dans une pièce sombre, et je pleure en silence.
*noir*
Les Echos s'estompent, les ténèbres s'ouvrent, les noms et les souvenirs retournent au néant. Je redevient Il. Retour à la
(réalité ?)réalité de l'instant présent.