[Machie] Scène Première. Le Donneur de Vie Involontaire.

Compte Anonyme Messages : 150 Humeur : Macabre.

L'HISTOIRE COMMENCE...

L'ombre est un manteau, un habit confortable, rassurant comme le néant et le sommeil de la mort qu'originellement, elle avait souhaité. Figée à son automne la statue dort et l'ange pleure. Les battements de son cœur sont imperceptibles, à peine une pensée, le clignement d'une paupière, à peine un souffle expiré chaque heure, chaque minute : le corps hiberne sous la pierre.

L'atmosphère, a une telle profondeur de sol, est immobile, pesante. Le sol qui n'est plus sol, creusé de galeries, de temples, d'entrées puis de sorties, de couloirs et de fenêtres, de jardins et de cimetières, d'endroits perdus et de terrasses, au-dessus des gouffres, comme à ciel ouvert. Ici, l'Enfer est seulement un peu plus oppressant, un peu plus évident et présent. La menace semble constante, tout semble suspendu, arrêté, là où l'on se rapproche du centre des choses, des profondeurs noires de la terre, de la chair, où l'âme perd sa conscience et tremble, se trouve plongée contre des choses qu'elle-même, de son point de vue physique, ne comprend pas.

Veux-tu retrouver ta couronne? Veux-tu être punie? Cherches-tu la mort? Ou cherches-tu à vivre, mieux? Cherches-tu l'amour, veux-tu la haine?
Autour de la gisante en pleurs avaient poussé des buissons de ronces. Des lianes noires, des racines d'ébènes avaient grandies sur son corps, l'étranglant avec douceur, la couronnant de nouveau et cette fois-ci, d'épines.
Du haut de son piédestal elle offrait un spectacle étrange aux quelques âmes égarées qui, parfois, empruntaient cette galerie - qui semblait perdue, et n'aboutir nulle part. Pourtant la sensation de peine était saisissante ; cette seule statue, venue s'endormir au milieu des colonnades et figée dans une mort artificielle, magnifique, avait saisit ce second personnage qui, à force de timides contemplations, avait fait d'elle une obsession : il s'était arrêté, un jour, devant l'ange écrasé sous les ronces protubérantes, et dans les épines proliférées n'avait pu résister à la tentation du toucher. Donner corps à ses pensées les plus folles, au prix du sang et ses doigts lentement avaient pénétré la masse végétative noire, ignorant ou souffrant en silence l'écorchement de sa peau, et doucement avait effleuré le marbre lisse et blanc, veiné de nuances rougeâtre, bleuâtres, qui étrangement exercait sur son imagination et ses fantasmes une fascination fiévreuse, irrésistible, douce et dangereuse.
Le froid et la morsure, au contact de la pierre, le surprirent. Il se figea. Il se vida. Il sentit s'enfuir sa propre chaleur, comme aspirée par le corps inanimé qui, à l'autre bout de son bras, pulsait dans les ronces en un demi-silence, sans bruit et paradoxalement, avec une puissance d'immortel. L'être que logeait cette grande silhouette revêtue de noire, au visage dissimulé dans l'ombre d'une capuche et qui venait de révéler une fébrilité de son âme en succombant au désir de la pierre, frissonna de la façon dont frissonnent ceux qui voient, un jour ou l'autre, s'ouvrir en eux-mêmes un gouffre noir, vide, où le vertige inquiète et transcende, où le froid ressemble à la mort...

Au milieu des ronces, à mille pieds sous terre, l'ange subitement avait ouvert des yeux immenses, sanglants, réveillé de son coma. La glace sur son regard se brisa, celle de sa peau fondit comme au soleil et comme une mécanique remise en marche après une longue hibernation, son cœur s'accéléra, simulé par la tiédeur venue encenser l'organisme . Son éveilleur sombrait dans le noir et l'hiver, exsangue comme un désormais cadavre, sa vie maintenue seulement par l'unique contact avec l'ange. Un toucher qui en dernier recours le retenait encore à sa propre âme que malgré lui, il venait de donner à la pierre, au détriment de lui-même.

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Doucement, ses paupière frémirent, puis se soulevèrent, se laissant écorcher par les épines qui s’étaient, au fil du temps liées à son corps. Le marbre devint chair, de la même façon que la peau s’était transformée en marbre. Les larmes figées sur ses joues en dernier signe de regret étaient redevenues liquides et achevèrent leur route suspendue dans le temps jusqu’à présent. Elles se mêlèrent aux morsures des liens singuliers qui l’enlaçait avec une affection toute particulière l’entaillait. Une nouvelle chaleur l’envahi, la sienne, sa vision se fit claire, elle était projeté dans un monde qu’elle s’était contenté de regarder. Elle était active, elle sentait ses membres accordés bout à bout. Elle sentait quelques choses frapper dans sa cage thoracique. Le sang circula douloureusement lui procurant crampes et fourmillement. Elle tenta de se mouvoir mais les hypocrites ronces semblaient encore désirer sa présence.
Elle fini par sortir à coup de patience, de douleur, de centimètre par centimètre. Elle ne s’occupait plus que des ronces, pour le moment, il n’y avait que cela qui importer. Malgré cette fatigue toute nouvelle n’était pas d’actualité rien, à part se mouvoir librement. Et par ses petits à-coups, si doux, si faible, elle s’extraya, laissant bouts de tissus et de peau dans un spectacle néfaste et sanglant. Tout simplement.
Elle regarda le spectacle en plissant le nez dans une mimique assez écœurée. Son cou était orné d’un collier très fin, une entaille sanguinolente, ses bras étaient comme imprimé de la marque des plantes, des griffures rougeoyantes. Ses vêtements angéliques avaient une petite allure de gruyère en y réfléchissant un peu.
Elle détesta ce gars, celui là qui serait bouffé par les ronces à son tour. Elle le regardait avec haine et méprise, le cœur battant encore plus fort, ce cœur qu’elle redécouvrait se serré et lui remonté dans une gorge qui la brûlait. Ses yeux qui avaient perdu toute expression étaient douloureusement humides. Elle le haïssait ne désirait plus que de briser cette statut marbrée et stupide. Cette haine circulait dans le sang dont elle avait perdu l’habitude, qui lui engourdissait ses membres avec hardiesse. Dieu comme elle était fatiguée. Dieu comme elle était malade. Dieu comme la haine et la perte d’une vie promise laissait son monde s’effondrer. Encore.
Elle saignait, elle avait mal.
Et justement elle avait mal, elle n’était plus ange. N’étant plus ange, elle ne voulait que pleurer, ne connaissait plus rien, ne voulait plus rien, seulement noyer son chagrin. Au moins. Douloureusement, elle souffrait intérieurement.
Avoir mal physiquement et en profondeur lui faisait perdre toute forme étrange de divinité. Souffrance, douleur, pas d’autre mot, la perte d’elle-même, car à nouveau elle n’était plus rien.
A nouveau elle était sans couronne.

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Son éveilleur avait tenté de retirer ses doigts avec fougue, s'arrachant la peau au passage, s'emmêlant plus encore dans les ronces. Horrifié de ce qu'il avait fait, involontairement, et de tout ce qu'il lisait dans les yeux de l'ange qui, face à lui, le regardait avec haine et mépris : il se sentait coupable. La pierre avait perdu sa tranquillité. Elle était maintenant un corps de douleur, déformé par la malaisance, et saoule de chagrin. Coupable d'un découronnement.
Il ne pouvait se soustraire à quitter ce contact, pas en étant à ce point au bord de la mort. L'ombre se retira de son visage : l'horreur se lisait sur les traits. Un jeune garçon, à peine adulte, qu'encadraient des cheveux blancs et rêches, des yeux figés à l'instant de le même marbre dont venait juste de se délivrer l'ange.
Ses lèvres remuèrent, formant des mots inaudibles d'abord. Avec la perception qu'elle avait, Machie distingua le cri muet qu'hurlait son cœur. C'était une supplication : Oh, je vous en prie...
Machie était comme un lambeau nonchalant. Je vous en prie. Je vous en prie, ne me laissez pas mourir. Ne me lâchez pas la main...

Il s'appelle Jill. C'est un enfant, encore, qui doit sans doute appartenir à une communauté discrète des souterrains de la Cité. Il fait l'aller-retour, tous les jours, jusqu'à une centrale, à quelques pas d'ici, dans l'un des recoins du temple enfoui et où il assiste aux enseignements. Ce chemin est un chemin discret sur lequel il est censé ne rencontrer aucune créature assoiffée. Ne pas mourir : la première des préoccupations. Car plus bas, l'Enfer doit être pire.
- Ne me lâchez pas la main. Je vais mourir, sinon...

Machie s'est retirée, sanglante, des ronces. Elle tient toujours dans ses paumes les doigts tremblants et glacés de celui auquel elle a aspiré la vie, et dont ce qui lui reste d'existence ne tient qu'à sa seule volonté : elle a le pouvoir de vie ou de mort. Il est son jouet.
Je vais mourir, sinon..., répète-t-il, dans un murmure pensé qu'il s'arrache difficilement...

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Elle le lorgnait avec un mépris non dissimulé. Les petits doigts froids continuaient de palpiter dans sa main lisse. Seul le dédain pénétrait son être à cet instant présent. Elle n’aurait eut aucun scrupule à retirer sa main, balançant les doits un peu plus loin et laissant le gosse, mort, là. Sans remords elle aurait décidé de sa mort, elle aurait vu la vie s’effaçait de son visage poupin.
Mais…
Parce que, dans cette histoire le mais fait tout le poids. Comme un bras divin qui l’arrêtait dans son élan, son cœur se serra. Un cœur qui se sert avec compassion. Le cœur d’un ange, se serrant avec compassion. Voilà quelque chose d’incongru, qui aurait dû ne pas se produire, rester impassible à jamais, tabou parmi tous. Elle dût faire à nouveau face à ce pourquoi elle s’était murée si soigneusement dans le silence et les larmes. Pierre elle était devenue pour avoir tout perdue. Et des pierres, elle était revenue. La haine, telle un virus affamer, ronger son cœur qui remonté dans sa gorge. Une tempête de sentiments faisait rages dans sa cage thoracique. Une tempête inhabituelle à un ange, interdite même. Elle était damnée, seule devait être la réponse. Elle en pleurait presque, si stupide humain il n’y avait point eut. Ses yeux demeurés humides.
Elle aurait juré sentir les battements du cœur du garçon, là, dans sa main, de part ces petits doigts respiraient toujours la vie, intense, jeune et longue.

Et elle ne put, l’instinct supérieur, l’être dévastateur qui résonnait jadis en elle était assommé par le rugissement de sentiment qu’elle ne contrôler pas, qu’elle ne chercha qu’à haïr d’avantage. Elle se haïssait au point d’en réclamer à redevenir statue, seul s’annonçait être son destin. Mais la vie s’offrait à elle. Elle ne répondit pas, ne répondait pas. Ses yeux toujours larmoyant, son cœur battant la rage d’être vivante, vivante parmi les humains et non parmi les Dieux. Plus humains qu’ange dés à présent, revenue à un état où elle ne méritait qu’à être vomie. Où elle n’était qu’une faiblesse noyée parmi tant d’autres.
Et l’autre, l’autre jeune vie. Une pousse comme on ne croyait ne plus jamais en voir. Une pousse en plein désert, petite pouce verte au cœur battant. Elle ne le lâcha pas. Ferma les yeux. Refermant doucement ses longs doigts qui un jour furent angélique sur les doigts tremblant du môme. Elle ne chercha pas à parler. A quoi bon ? Peut-être même avait-elle oublié ? Elle ne se souvenait plus de sa propre voix, et se refuser à l’entendre. L’entendre ferait trop mal, se ne serait que plus douloureux de s’entendre parler alors qu’on se préfèrerait mort.

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Il tremble, de froid et de peur, de voir susurrer la mort à son oreille, se glisser contre lui comme un inextirpable cauchemar. Frôler plus bas que cet enfer-ci. Son échine est parcourue d'incontrôlables frissons glacés, son cœur hésite. Au bord de la défaillance, il regarde, sans vraiment la voir, l'ange s'extirper des ronces et enrouler sa main autour de la sienne, refusant de le lâcher. Aveuglé par une saccade, poussé au bord du vide. Il vient de connaître le plus grand vertige de son existence, l'expérience de la mort.
Et il ne veut pas mourir. Ange de pierre, ne me lâche pas. Je t'en supplie.

Le temps qui s'était incroyablement étiré s'écrase ; il se réveille dans une tiédeur renaissante, comme d'un rêve. Faiblement, il a reprit un peu de consistance. Il garde un souvenir vague mais suffisamment terrifiant de ce qu'il vient de se produire pour savoir qu'il ne veut pas y retourner. Émergeant d'un brouillard d'évanouissement, il prend connaissance de ce qu'il se passe autour de lui : l'ange est là. La pierre tueuse et salvatrice. Le paradoxe est vaste. Il s'est agrippé à la main sauvagement, enfonçant ses ongles dans la chair blanche, supplicateur, et cela sans même s'en rendre compte.
Puis, remontant le temps un peu plus loin encore, son malaise s'accroit : Qu'ai-je fais? La pierre est vivante. Elle semble abandonnée, désespérée. Ses lèvres restent closes, incapables de formuler quoi que ce soit.
Et avant? Qui étais-je?

Le remord. L'ange était si calme, il vient de l'écorcher au possible. L'air du monde est une horreur dégradante, une agonie. Le respirer, c'est mourir. La condamnation. Et sa vie ne tient qu'à celle qu'il vient d'éveiller, dont il a tué la paix. Supplice de l'acte regretté. Il la regarde, écarquillé, tressaillant, émerveillé et terrifié à la fois. Il tremble encore. Ses jambes ne tiennent plus : il tombe à genoux, sans quitter les yeux de la pierre vivante, subjugué. Ses mots sont minces, une mi-voix cassée et apeurée, une voix qui tremble et s'emplit de larmes :

- Oh, pardon, pardon...

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Sans doute pourrions nous faire de longs vers sur le regard mort de Machie. De cet ange qui n’en est plus un. Nous pourrions sans cesse d’écrire dans un tourbillon insolent le mal être de cette chose. Car oui, nous ne pouvons plus la désigner que sous ce mot synonyme de « truc » elle n’est plus ange. Elle n’est pas même une humaine, juste en passe de le devenir. C’est quelque chose de laid, de défiguré, qui n’existe plus tellement. Quelque chose qui mériterait d’être mort. Elle se tenait droite, malgré tout, son regard n’était pas dur. Pas dur comme ce cœur qui venait de se remettre à battre. Son regard était voilé, lointain. Elle était perdue, elle ne réalisait pas. Voilà. Elle savait que c’était fini, ce calme bienveillant, le bonheur envolé. Elle le savait. Et ensuite, elle irait pleurer, une fois qu’elle aura percuté, que le déclic se sera produit, elle ira hurler. Mourir un peu plus loin si son corps lui permet. Juste ne plus vivre dans cette chaire dégradée, dans cette saleté ambiante. Ne plus être clouée au sol, sans ailes. Elle était dénaturée. Sa deuxième chance lui avait était retirée. Et elle brûlait de haïr la personne qui l’avait fait devenir ce qu’elle haïssait cette chose difforme, qui ne méritait plus la vie. Elle aurait mérité de mourir encore et renaître. Voilà la solution qu’elle avait choisie. Et voilà aussi sa punition. La punition d’avoir était fière, d’avoir était belle.

Il s’excusa, le tas difforme, répugnant et humain. Son échec, l’allégorie même de sa renaissance, de cette nouvelle mort lente, l’allégorie de la vie que l’on refusait de tout son être. La chose parla. Elle ne voulait pas l’entendre. Sa voix monta dans sa gorge comme une boule de feu. Elle aurait préféré retenir cette voix, cette voix si… Vive. Cette voix qui montrait qu’en effet elle était vivante, et humaine. Et non plus ne statut. Mais seulement un ange collé à la terre.
« Encore un mot et je te lâche. »
Elle aurait craché sur les chaussures du garçon, le même effet aurait était produit.
Elle entendit alors sa voix. Elle résonna un instant dans ses oreilles. L’écho se fit longuement analysé. Cela se répercuta dans sa gorge qui se serra comme si on l’étouffait. Sa cage thoracique vrombit. Les larmes brouillèrent sa vue. Ses jambes flageolèrent.
Elle tomba, en pleur. Tout simplement. Tentant de se raccrocher à l’unique chose présente, à savoir, le garçon. Elle ne réussit à se retenir, ses jambes ayant perdu leurs forces comme une âme s’envol d’un corps. Elle était agenouillée, à terre.
Un ange, à terre.
Une princesse, à terre.
Tout cela semblait si improbable, si douloureux.
Elle était vivante, dans une torture éternelle et douloureuse.