Une goutte...

Elle glisse le long de la chair tendre qui s’étend sur la pierre froide. Elle perle lentement sur la paume de la main, caresse l’index sensuellement avant de se laisser tomber dans le vide. Quelques secondes de liberté avant de s’écraser sur le sol froid et poussiéreux. Un éclair traverse les vitraux explosés et illumine un instant la mare de sang qui se forme au pied de l’autel. Les gargouilles observent d’un œil brillant la victime, le sacrifice. Les voiles blancs qui composent la robe se teintent de carmin tout en voletant encore sous la brise glacée de l’orage. Dans un dernier effort, la main pendante se resserre sur un masque immaculé et vient le déposer sur un visage qui est, désormais, perdu à jamais.

Un souvenir...

Ce cadavre portait un nom, il avait une histoire. Maëzel est un enfant du voyage, née au sein du clan gitan. Acrobate et illusionniste, celle qui se savait femme autrefois était une fine musicienne, danseuse et surtout, une actrice sublime. Ses pieds délicats ont foulé plus de sol que quiconque. Le Monde connaissait Maëzel, cette fille de rien qu’on croisait parfois, qui illuminait quelques soirs avec ses compagnons de voyage et qui repartait sur sa roulotte. Sur le grand chemin de sa vie, elle avait rencontré des êtres tout à fait particulier, elle avait vécut de belles histoires dans sa jeunesse, juste avant d’apprendre à jouer la Comédie. Elle jouait les plus beaux rôles sans prétention, à la lueur d’un immense feu de camp. Tout simplement : elle Vivait. Ancrée dans les traditions de son peuple, elle apprit quelques magies secrètes, des rites et des incantations qui pouvaient agir sur la vie des autres en bien comme en mal. Tout ceci dans la plus grande discrétion. Elle menait une double vie : celle de comédienne, de voleuse parfois, de sorcière... Une nuit elle osa franchir l’étape de l’adolescence en pratiquant sa première messe noire. Pauvre fille... Savais-tu ce qui t’attendait au détour de ce sombre chemin ? Les onguents que tu as étalés sur ta peau, cette drogue, elle a prit possession de toi jusqu’à te ronger le sang et les os. Tu as défaillis, évanouie par les vapeurs psychédéliques qui te permettaient de voir l’impalpable. En chutant, tu l’as vu... Et jamais il ne te quitta.

Chaque reflet, chaque miroir avait son visage. Le tien s’effaçait pour laisser place à celui du Tout Puissant, à la Vérité. Tu as compris que tu n’existais pas réellement en ce monde, qu’il y avait quelque chose, tu l’as vu. Au dessus de ton épaule tu apercevais son ombre sans cesse, tu pouvais sentir un souffle glacé dans ta nuque en permanence. Tu t’es perdu dans les dédales de la magie et de la Liberté. Tu as voulu connaître, apprendre, tu t’es faite piégée. Alors tu joues ton rôle en ce monde artificiel, un masque posé sur ton visage en toute occasion. Tu incarnais le personnage de ta propre existence sur les planches du théâtre de la Vie. Bientôt, tu n’avais plus qu’un nom pour te retrouver, une sans visage. Un masque sans cesse posé sur ton visage même lorsque tu laissais dans ton coffre ceux de l’actrice. Tu ne pouvais te regarder sans Le voir Lui. Harcelée, chassée par cette image que tu as voulu fuir pendant des années sans chercher à comprendre. Sûrement par peur mais ne t’en veux pas, nous avons tous eu peur un jour Maëzel.

Une prière...

Tu n’as plus peur désormais, ainsi allongée sur l’autel. Tes bras saignent, ta robe d’actrice s’imbibe de ton propre sang et prend une teinte si familière à ta famille. Tu es venu ici car tu as finalement cherché à comprendre qui Il était, ce reflet insaisissable et morbide. Tu l’as regardé et tu as compris qu’il y avait quelque chose de l’autre coté du miroir, quelque chose de réel... la Vérité ? L’essence même des choses. Ton vrai visage peut être. Tu ne sais plus qui tu es, pourquoi tu existes. Ton souffle se fait court, tu étouffes dans ce monde trop petit pour toi. Tu as joué trop de rôle pour pouvoir te contenter de cette Terre, il te faut un plus grand terrain de jeu, un théâtre plus grand, une théâtre du Macabre où les rideaux pourpres seraient en fait des rivières de sang, un public qui ne serait que des poupées désarticulés que tu manierais à ta guise. Un monde pour Vivre et exister comme celui ou celle que tu es réellement. À la recherche de ton identité réelle, tu t’offres en cette nuit d’orage, dans cette église satanique désaffectée depuis longtemps.

Au bord de la mort, tu cherches la vérité. Ton corps faiblit, ton sang se répand tout autour de toi avec une lenteur insupportable, une lente agonie prend possession de tes membres qui convulsent légèrement. Tu tournes la tête vers le sol et là, tu le vois. Son reflet. Tu tends la main vers lui comme pour enfin le toucher, tu renonces à ta vie matérielle, à ton nom pour ne devenir qu’un masque... Non, Le Masque.

La main tremble violemment, les ongles cherchent à agripper une dernière fois ce Visage qui lui a tout volé. Elle retombe soudain dans le vide et pend, inanimée. Une dernière goutte de sang s’écrase sur le sol.